Les premiers livres, il faut les lire et s’en souvenir. Avec « La Claque et le Bonbon », Philippe Loubry partage avec nous, en quelque sorte, sa « Lettre à Elise », ses lettres mêmes. Ceux qui, oubliant que l’on doit le morceau initial à Beethoven, écoutent en boucle Richard Claydermann, peuvent changer de crèmerie.
Ici, on parle franco, pas de mièvrerie ou de faux semblant. Audiard rencontre San Antonio, Elise parle avec Loubry. L’accent de Montmartre est celui de la rue, celui de la vie aussi. L’Elise de Philippe Loubry est sa grand-mère. Son prénom s’écrit aussi avec un « i », cette voyelle dotée d’un point comme elle aimait à les mettre.
Audiard rencontre San Antonio, Elise parle avec Loubry
Souvenirs d’une dame de Paris, à la tête du célèbre cabaret dancing de Montmartre, Le Mikado. Souvenirs d’une dame de Montmartre que l’on rêverait d’avoir comme grand-mère.
« J’ai récupéré Philippe chez moi à Montmartre, je l’ai senti soulagé comme un veau qui vient de comprendre que le boucher vient de paumer les clefs de l’abattoir » dira-t-elle à sa sœur. Quels beaux pâturages que le Montmartre des années 60 et 70. Une butte à laquelle il restera fidèle jusqu’à la fin des années 80.
Et le voilà, le jeune Loubry, adoptant la Butte comme celle-ci l’adopta, y écorchant ses genoux comme il y construit son « esprit de liberté ». Mais peut-être ne connaissez-vous pas Philippe Loubry ? Raison de plus pour le découvrir…
Comment vous décrire l’homme ? Vous avez pu le croiser sur les grands fleuves d’Europe, dans le restaurant qu’il eut un temps, auprès des professionnels de la restauration avec lesquels il a travaillé, autour d’un café à refaire le monde où encore sur les réseaux sociaux où il sévit parfois. Là, on se dit parfois que le froid clavier des ordinateurs a remplacé la chaleur et le brillant des zincs d’autrefois. Cette époque où les bistros étaient des réseaux sociaux bien plus humains et profonds que ceux qui font l’opinion aujourd’hui.
Comment l’ai-je rencontré… Un jour ! Alors que beaucoup de choses nous séparent et que certains ont sans doute creusé les tranchées des champs de bataille d’idées qui nous opposaient. Lui, mon ainé, grand méchant Lou… bry et moi, toutes griffes dehors orné, comme le chante Brassens de la « mauvaise réputation », avons posé les armes que nous n’avions jamais sorties pour échanger et parler.
« Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux »
Un profond respect, une amitié en sont nés, même si nous ne sommes, heureusement, toujours pas d’accord sur tout ! Par contre, nous partageons l’esprit de liberté, mentionné plus haut, une qualité pour les uns, un défaut pour les autres. Défaut que nous avons souvent payé « cash » ! Quelque part nous avons tous les deux une part de « radicalité ».
Mais revenons-en, c’est plus important à « La Claque et le Bonbon ». Il est né, non le divin enfant, mais le premier livre de l’ami Loubry. Et quel livre. On y croise naturellement « Mémé », celle qui ouvrit la cage de ce « titi » fantasque, parti à la conquête de son monde.
On le découvre échangeant avec Dalida. Montmartre criant « Dali, Dali, Dali », raccourci du nom de la star et du chat au regard malicieux qui aujourd’hui accompagne Philippe. On avance d’abord avec lui, découvrant un chemin de vie qui tient presque du parcours commando rude et dure à la fois. La vie est parfois cruelle avec ceux qui l’aiment pourtant.
On découvre aussi le « ciel de Paris » atteint par une femme qui en connut les bas-fonds. Une femme porteuse de valeurs qu’elle transmet à l’ami aux détours d’échanges, d’explications de textes et de gravures.
Epicurienne libertaire et anarchiste de droite
Mais retrouvons Elise, cadrant et recadrant « Loubry » comme elle aime à l’appeler, stigmate d’un rejet du prénom pour raisons personnelles. On l’entend presque ponctuer cette remarque d’un « Affaire Classée », une expression « signature ». Le poulbot écoute, enregistre… Sait-il que si Elise ne l’empêchera pas de faire quelques conneries de son âge, elle l’aura sans doute vacciné contre les pires.
Et le voilà de grandir dans une chambre où Mémé n’installa pas de chauffage « car le chauffage ramollissait les hommes et les rendait impuissants ». Lorsqu’il fait – 13 à Paris, cela pique un peu…
Retour au Mikado qui tenait du bar à filles en quelque sorte. « Ici on chauffe mais on ne tira pas » lancera souvent Mémé aux filles avant le service. Epicurienne libertaire et anarchiste de droite, Mémé séduit le lecteur, elle nous emporte même avec elle.
Et nous voilà de lire le sourire aux lèvres. De nous inviter dans les aventures, un anniversaire au Grand Véfour, un pot à « La Mascotte chez Campion », des huitres à l’Alsace aux Halles.
« On l'a tuée à coups d'chassepots, À coups de mitrailleuses, Et roulée avec son drapeau Dans la terre argileuse ! »
… Si la Commune n’est pas morte, comme le chantera Eugène Pottier, par ailleurs auteur de l’Internationale, son esprit accompagne sans aucun doute Mémé et Loubry. Allez, on monte la bande son, hésitant entre ce chant-là, la voix de Piaf ou celle encore de Dalida. Charmant cocktail ou verre de vin frais, un Sèvre et Maine ?
Star Wars n’existe pas encore mais il y a aussi un côté obscur du côté de la butte. Naturellement, Philippe le croise. Obscur comme le noir de certains blousons, obscur comme certains destins auxquels Philippe échappent.
La liberté du crabe qui sur une table, regarde, amusé, ceux qui sont dans le panier
« Madame Elise » s’abstient un jour de prendre son « grand noir – Muscadet ». Mémé a tiré sa révérence. Philippe et Montmartre sont orphelins. Loubry quittera Paris et nous de regretter de n'avoir croisée Elise.
Si Philippe Loubry a croisé plus d’Emma (Bovary) que de Marlène Dietrich, on se dit justement qu’il eut la chance de croiser Mémé et ce bonheur, extrême et humble, à la fois de partager tout cela avec nous. Découverte réjouissante, écriture gouleyante, plume sans ego boursoufflé …
On se surprend à voir Paris autrement, à voir encore surgir Gabin, Dalida et d’autres encore. On se surprend aussi à vouloir offrir La Claque et le Bonbon à ses amis.
Philippe Loubry écrit désormais. Il s’offre enfin cette liberté, ce luxe. Celui du crabe sur une table qui regarde, amusé, ceux qui sont dans le panier.
La Claque et le Bonbon
En vente, 16 € (hors port) chez l’auteur